La Pologne en France

Remise de la Grande Médaille de la Ville de Grenoble
aux alpinistes polonais Adam BIELECKI et Krzysztof WIELICKI
Vendredi 8 novembre 2019, 11h
Eric Piolle / 5 minutes

Mesdames, Messieurs

Lorsqu’en 1923, un journaliste lui demande pourquoi il veut atteindre le toit du monde, George MALLORY - qui est peut-être le premier homme à fouler le sommet du Mont Everest – lui répond : « Parce qu’il est là ».

Cette phrase toute simple, de nombreux alpinistes pourraient la prononcer aujourd’hui encore.

La conquête des sommets est une quête personnelle de sens, parfois difficile à partager, parfois difficile à comprendre pour ceux qui ne sont pas touchés par l’appel des sommets.

Pourtant quand on attrape le virus des montagnes, on n’en guérit jamais complètement.

A mon humble niveau, dans les Pyrénées puis les Alpes, j’ai découvert les joies de la haute montagne, la fraternité au refuge, la solidarité de la cordée.

L’alpinisme révèle qui nous sommes. Face à la montagne, on ne peut pas mentir ni se dérober. Face aux dangers, imprévisibles et permanents, la cordée ne peut progresser qu’en étant solidaire.

Les relations humaines prennent une tout autre dimension lorsque l’on confie sa vie à ses compagnons, et qu’ils vous confient leur propre vie. La cordée est une philosophie : chacun est là pour l’autre.

Avalanche, chute de neige, de sérac, mal des montagnes : parfois chaque minute en montagne devient une minute volée à la mort.

Face à des situations extrêmes, l’être humain se retrouve souvent confronté à des choix extrêmes.

Celui ou celle qui n’était pas là ne peut pas se permettre de juger les choix qui ont été faits.

Dans l’histoire l’alpinisme, l’héroïsme et la tragédie souvent se mêlent.

Votre histoire l’illustre.

C’est l’histoire de deux cordées que rien ne devait amener à se croiser en ce mois de janvier 2018.

Deux objectifs : du côté franco-polonais, la deuxième ascension hivernale du Nanga Parbat, la première en style alpin. De l’autre, la première ascension hivernale du mythique K2, sommet dont un prétendant sur cinq n’est pas revenu.

Alors qu’il atteint le sommet du Nanga Parbat avec Elizabeth Revol, Thomasz Mackiewicz est atteint d’ophtalmie des neiges. Vers 7280 mètres, extenué, il ne peut plus continuer à descendre. Elizabeth l’installe alors à l’abri, dans l’attente de revenir le chercher avec les secours, puis continue sa décente jusqu’à 6700m.

Krzysztof Wielicki, informé de la situation désespérée dans laquelle se trouve l’autre cordée, vous n’hésitez pas à proposer l’aide de votre expédition pour ce sauvetage. Adam Bielecki, vous n’hésitez pas non plus. Je crois d’ailleurs que vous aviez déjà tenté la voie Kinshofer où s’étaient engagés Elizabeth et Thomasz. Vous êtes déjà acclimatés et vous êtes l'unique recours à cette altitude.

A l’issue d’une ascension record de 1200 mètres effectuée en 7 heures et en pleine nuit, par des températures oscillant entre -30 et -40 C°, accompagné de Denis Urubko, vous retrouvez Elizabeth, à 6000m d’altitude sur le Nanga Parbat. Il est 2h du matin le dimanche, elle a déjà passé deux nuits seule, à plus de 6000 mètres d’altitude.

Malheureusement, les conditions ne sont pas réunies pour tenter de sauver Tomek, souffrant, qui n’est plus en mesure de déplacer, piégé depuis 3 jours 1200 mètres plus haut.

Tomek était fasciné par le Nanga Parbat. Sa carrière exemplaire restera une inspiration pour les alpinistes du monde entier. Son nom demeurera gravé dans l’histoire de l’alpinisme himalayen, dans l’histoire du Nanga Parbat.

Adam Bielecki, pour avoir sauvé la vie d’Elizabeth Revol, je suis fier de vous décerner la Grande Médaille d’argent de la Ville de Grenoble.

Krzysztof Wielicki, pour avoir été le 5^e homme à fouler les 14 sommets de plus de 8000, pour avoir réalisé la première ascension de l’Everest en hivernale, et pour avoir sacrifié une chance de réussir le K2 en hivernale pour porter assistance à Elizabeth Revol, je suis fier de vous décerner la Grande Médaille d’or de la Ville de Grenoble.

C’est grâce à vous que nous pouvons apprécier la présence d’Elizabeth parmi nous aujourd’hui.

C’est grâce à vous qu’elle peut continuer à nous faire rêver.

Boris Vian: "La montagne offre à l'homme tout ce que la société moderne oublie de lui donner"

 

Consulat Général à Lyon

Photo: Katarzyna Biernacka